l’histoire de l’alcool en 100 dates , pt.4

1491. les commerçants anglais en andalousie

Sanlucar, porvince – Cadix, communeauté autonomne – Andalousie, Espagne

Depuis quand les espagnols fortifient-ils leur vin avec de l’eau-de-vie ?

Le poète anglais Geoffrey Chaucer, dans son Pardoner’s Tale, écrit entre 1387 et 1400, donne un début d’indice :

Ce vin d’Espagne s’insinue subtilement,
Dans d’autres vins qui poussent à côté,
Dont il y a une telle fumositée.

– Chaucer, Geoffrey, les contes de Canterbury 

“Fumosité” est un joli mot.
Les vin du sud de l’Espagne sont-ils déjà fortifiés ?
Les maures ont longtemps étés dans la région et connaissaient la distillation.

En 1491, le duc de Sanlucar, un important port d’Andalousie repris aux maures depuis 1264, publie une proclamation selon laquelle les marchands espagnols et étrangers peuvent exporter du vin par la mer sans payer de droits de douane.

L’année suivante, les rois catholiques reprennent Grenade en janvier, expulsent les juifs d’Espagne en mars, et envoient Christophe Colomb pour l’Amérique depuis un port andalou en août.
Les vignobles juifs, confisqués, sont repris par beaucoup d’anglais.

Le vino de Jerez, aussi appelé sherry, ou sack par les anglais, est probablement le premier vin à atteindre le nouveau continent1.

Le commerce du vin entre l’Espagne et l’Angleterre est bien établi, mais les relations entre les deux pays se dégradent à partir de l’arrivée de Charles Quint.
En 1517, le nouveau duc de Sanlucar s’inquiète du fait qu’il y a moins de marchands  anglais dans son port qu’auparavant et publie une nouvelle charte de privilèges : un terrain sur lequel construire une église dédié à St Georges, de nouveaux taux de douanes, le droit de porter des armes, la mise à disposition de 8 maisons dans la ville pour leur donner plus d’intimité, etc2.

En 1530, les nouveaux marchands anglais créés la Compagnie d’Andalousie.
Mais les conditions entre l’Espagne et l’Angleterre ne cessent de se détériorer. 
Lorsqu’en Henri VIII divorce d’Anne Boleyn en 1533, c’est inadmissible pour les très catholiques espagnols, et les marchands anglais subissent l’inquisition.

La colonie anglaise de Sanlucar perdure jusqu’à l’arrivée sur le trône de l’hérétique Elisabeth.
La Compagnie d’Andalousie cesse d’exister en 1585.

Notes de bas de page :

  1. Harding, Julia & Robinson, Jancis. Sherry. The Oxford Companion to Wine. 5th édition. 2021
  2. Jeffs, Julian. Sherry. Infinite Ideas Limited. 2019

1493. la canne à sucre atteint les antilles

Hispaniola (Saint-Domingue, Antilles)

La production de boissons alcoolisées fermentées ou distillées à base de canne à sucre suit la migration historique de cette dernière à travers le monde.

Les botanistes pensent que Saccharum Officinarum a été domestiquée pour la première fois en Nouvelle-Guinée il y environ 8000 ans. Loin des Antilles.

Elle se serait répandu dans les îles du Pacifique jusqu’à atteindre Hawaï vers 600 de notre ère. Du Pacifique, elle aurait atteint l’Inde et la Chine.

Sa plus ancienne mention provient du général d’Alexandre le Grand, Néarque, lors de la conquête de l’Indus en 327 avant J.C.

Un roseau en Inde produit du miel sans l’aide des abeilles, à partir duquel une boisson enivrante est faite bien que la plante ne porte pas de fruits.

– Vincent, William. Voyage de Néarque, des Bouches de l’Indus jusqu’à l’Euphrate. 1800

Ce qui est ironique, c’est que la toute première mention de la canne à sucre ne mentionne pas son sucre, mais le liquide fermenté qu’elle peut donner.

L’expansion musulmane du 8ème siècle la répand à travers la Méditerranée.

Vers l’an 900, la fabrication du sucre atteint la Sicile et le sud de l’Espagne, confirmant le dicton selon lequel “le sucre suit le Coran”

Certains croisés deviennent eux-même producteurs de sucre dans certaines parties du monde arabe conquises dans les années 1100.

Au milieu du 15ème siècle, la production de sucre commence dans les îles de l’Atlantique, au large des côtes africaines.
La plus première et la plus prospère est l’île de Madère, sous domination portugaise. 

Pourtant, malgré la matière sucrée et les connaissances croissantes en matière de distillation, aucune trace de production ou de commercialisation de boisson alcoolisée faite à partir de canne à sucre dans les îles atlantiques portugaises et espagnoles au 15ème et 16ème siècle.

Christophe Colomb, connu pour sa découverte de l’Amérique, transporte de la canne à sucre (récupérée lors d’une escale à Madère) vers les Caraïbes lors de son deuxième voyage en 14931.

Une sucrerie est établie à Hispaniola (Saint-Domingue) dix ans plus tard.

Saccharum Officinarum, après des milliers d’année d’érrance, arrive enfin dans les caraïbes, où elle pourra montrer un nouveau visage.

Note de bas de page :

  1.  Mintz, Sidney. Sweetness and Power : The Place of Sugar in Modern History. London. 1985.

1494. un aqua vitae maltée

Iles britanniques (Écosse)

Robert de Chester n’est pas le seul a avoir traduit les textes arabes.

L’écossais Michael Scot (1175-1236) étudie l’arabe à Tolède, il aurait traduit des ouvrages alchimiques comme Liber Luminis Luminum de Rhazes, et donc appris la distillation1.
Malheureusement, tout ce qui reste de l’oeuvre du premier distillateur écossais n’est qu’une brève mention dans l’Enfer de Dante.

La première référence de distillation de bière en Grande-Bretagne se trouve dans les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, écrits entre 1384 et 1400.

Dans The Canon’s Yeoman’s Tale, le narrateur révèle les secrets de l’alchimie, l’art elfique de son maître.
Il est question d’alambics et de wort (du moût) :

Of tartre, alum glas, berme, wort, and argoille,

Du tartre, de l’alun cristallisé, de la levure, du moût et de l’argile,

Resalgar, and oure materes enbibyng,

De l’arsenic et le trempage de nos matériaux

– Chaucer, Geoffrey. The Canon’s Yeoman’s. The Canterbury Tales. 1387-1400.

Un siècle plus tard, dans l’Exchequer Rolls of Scotland (livre des comptes sous la responsabilité du contrôleur d’Écosse entre 1326 et 1708) on trouve une entrée de 1494 mentionnant quelque chose de plus récréatif qu’alchimique :  

“l’achat de 8 bolls de malt par le frère John Cor, sur ordre du roi Jacques IV d’Écosse, pour la fabrication d’aqua vitae”

On ne sait pas qui il est, ni où il est domicilié, mais il est religieux et fabrique de l’eau-de-vie à partir de malt.
Le whisky serait donc né dans les monastères ?

Pas dit, à peine quatre ans plus tard, les comptes du Lord High Treasurer d’Écosse comprennent une entrée intéressante : 

“Au barbare qui a apporté l’aqua vitae au roi à Dundee par le commandement du roi, 9 shillings”

Avant l’entrée dans le 16ème siècle, religieux comme gueux distillent de l’aqua vitae, qui ne deviendra que plus tard Uisge Beatha, puis whisky.

Note de bas de page :

  1.  Broom, Dave. Whisky: The Manual. Mitchell Beazley. 2014

1495 – faire un vin brûlé au genévrier

Arnhem ou Apeldoorn (Province de Gueldre, Pays-Bas)

Personne ne sait quand la médecine est devenue un loisir, mais il est raisonnable de dire que cette pratique a été lancée par les riches et les décadents.
Le genre de personne dont une recette (pour 10 litres) commence avec 12 noix de muscade, qui valent alors plus cher que l’or, et inclue à peu près tout ce qui est cher et d’obscur du point de vue botanique, d’Inde ou d’Asie. 

La recette “Om Gebrande Wyn te Maken” (“faire du vin brûlé”) est de celles-ci.

Elle est retrouvée au milieu des manuscrits de Sloane (disponibles à la British Library), qui font partie du legs de 100 000 articles et objets scientifiques laissé à la nation britannique par Sir Hans Sloane à sa mort en 1753.

Il s’agit d’une recette récréative car elle fait partie des recettes de cuisine ; bien qu’il y ai beaucoup de recettes médicinales dans son livre Medicinal Tracts.

Elle aurait été écrite dans la région d’Arnhem-Apeldoorn, aux Pays-Bas, et est datée en 1495.
Il s’agit d’un alcool botanique distillé à partir du vin. 

Philip Duff, souhaitant le reproduire en 2014, s’est posé plein de questions :

“Qui est son distillateur ?”
Probablement une femme : le brassage et la distillation font partie des tâches du personnel de cuisine dans les grandes maisons de l’époque. 

“Qui est alors le chef de famille ?”
Compte tenu de la rareté des plantes, il s’agit surement d’un marchand riche et bien connecté, ou d’un aristocrate. 

“À quelle fréquence est-il produit ?”
Probablement tous les mois ou tous les deux mois, selon le nombre d’invités que le chef de famille souhaite recevoir (et impressionner).

L’obligation d’afficher sa richesse ne s’arrête pas au gin; la recette est écrite par un scribe sur le papier le plus cher disponible à l’époque.

Ce spiritueux contient une incroyable gamme de plantes, d’autant plus si l’on considère qu’en 1495 – plus d’un siècle avant la création de la VOC (société hollandaises des Indes orientales), toutes ces épices exotiques sont transportées manuellement aux Pays-Bas, sur la Route de la Soie, depuis l’Asie. 

Muscade, cannelle, galanga, graines de paradis, clous de girofle, gingembre, sauge, cardamome et baie de genièvre, macérés et distillé dans du vin français.

Une aqua viti compositae des plus chics pour riches hollandais.

Sources :

– Van Shoonenberghe, Eric. Jenever in de Lage Landen. 1996
– Duff, Philip. Discovery & remake of the World’s 1st know gin. Difford’s Guide. 2014

1500. liber de arte distillandi 

Strasbourg (Alsace germanophone)

Johannes Gutenberg est un imprimeur allemand de Mayence dont l’invention des caractères mobiles en métal a été déterminante dans la diffusion des textes et du savoir.
Bien que son invention est considérée comme un événement majeur de la Renaissance, il perd en 1455 le procès contre son créancier (Johann Fust) qui saisit son atelier, son matériel et ses impressions.

L’essor de l’imprimerie (facilité d’impression et augmentation simultanée du taux d’alphabétisation) a ouvert la porte à un myraide de manuels pratiques sur le thème de la distillation.

L’un des premiers textes connus de ce genre est le Liber de Arte Distillandi du chirurgien et apothicaire strasbourgeois Hieronymus Brunschwig (1450-1512).

Écrit en allemand (plutôt qu’en latin), il connait une si grande popularité qu’il passe par seize éditions entre 1500 et 1568.
Il est traduit en néerlandais en 1517, en anglais en 1527 (sous le nom The Virtuous Book of Distillation), en tchèque en 1559, et fait autorité en la matière tout au long du 16ème siècle.

pour aider les chirurgiens, médecins et apothicaires mais aussi beaucoup de personnes…à apprendre comment distiller de nombreuses herbes pour traiter et guérir beaucoup de maladies et infirmités apparentes ou non, et comprendre que les eaux (distillats) sont meilleures que les herbes.

 Brunschwig, H. The vertuose boke of distyllacyon translated by Laurence Andrew. London. 1527

Cette série est écrite du début du 16ème siècle à la mort de Brunschwig.

Elle débute avec Liber de Arte Distillandi Simplicia (1500) et se termine avec Liber de Arte Distillandi de Compositis (1512).

Si ces livres sont encore si connus, c’est pour leur grand nombre de xilogravures (gravures sur bois) instructives et de grand qualité (une idée de son éditeur, Jean Grüninger, qui s’en sert pour largement promouvoir le livre)

Ces premiers livres imprimés sont achetés par des gens aisés pour leur usage familial ; ils permettent également à de nombreux profanes d’acquérir des connaissances en matière de distillation et de préparer chez eux des eaux distillées curatives pour le bénéfice de leur foyer ou de leurs voisinage pauvre.

1510. orraca, uraca, arach et compagnie.

Indes Orientales (Inde et Philippines)

Au 15ème siècle, le Portugal, un petit pays aux confins de l’Europe, est coincé entre l’Espagne d’un côté, où chrétiens et musulmans s’affrontent dans une guerre semi-civile, et le de l’autre, l’immensité inexplorée de l’Atlantique. 

Les portugais confient donc leur fortune aux vagues et avancent, navire après navire, le long des côtes africaines jusqu’à trouver où se termine cet immense continent.
L’un de ces navires finit par atteindre son extrémité inférieure (Cap de Bonne-Esprérance), file tout droit, et finit par atteindre l’Inde en 1498.

Et l’Inde possède alors des choses que les européens désirent.
Il s’agit d’épices, qui occupent le même espace culturel et rapportent le mêmes prix que l’or.  
Jusqu’alors, elles atteignent l’Europe en passant par les Vénitiens qui prennent leur marge.
En les supprimant de l’équation, le Portugal peut devenir riche.

En 1510, les Portugais utilisent leur cruauté et leur puissance de feu pour se tailler une partie du sud-ouest de l’Inde.
Le 10 février, sous le commandement d’Alfonso de Albuquerque, ils prennent à Goa et s’y installent.
À Goa est fabriqué du vin de plame nommé orraca (c’est ainsi que l’entendent les portugais)1..

Peu après, on doit à Antonio Pigafetta, compagnon survivant du voyage de Magellan, une chronique détaillée de leur voyage dans les Phillipines.
Voyage durant lequel les portugais sont confrontés (outre des indigènes résistants) à des distillats locaux dont les noms ressemblent étrangement à l’orraca de Goa.

Le lundi 18 mars 1521, sur l’île de Zamal (Samar), au centre de l’archipel des Philippines, Pigafetta raconte que :

Les insulaires, charmés de la polilesse du capitaine, lui donnèrent du poisson, un vase plein de vin de palmier, qu’ils appellent uraca.

– Pigafetta, Vincenzo. Premier Voyage Autour du Monde sur l’Escarde de Magellan (1519-1522). 1888

Après plusieurs déboires (morts), le groupe atteint Palawan en juillet et trouve :

Le vin de riz est aussi clair que l’eau, mais si fort que plusieurs de notre équipage s’enivrèrent. Ils l’appellent arach.

– Pigafetta, Vincenzo. Premier Voyage Autour du Monde sur l’Escarde de Magellan (1519-1522). 1888

Antonio Pigafetta ne fait pas le lien entre les deux termes.
Il s’agit pourtant bien de deux dérivés du même mot arabe, araq.

Note de bas de page :

1. Prescatello, Ann M. The African Presence in Portuguese India. Journal of Asian History. 1977

1514 – premiere licence pour faire de l’alcool

Royaume de France

Depuis le 12ème siècle, en France, les différentes branches professionnelles sont désignées communautés de métiers.

Une communauté est une association obligatoire, de droit public, dotée d’un représentant juridique et d’un pouvoir disciplinaire, dont font légalement partie les personnes exerçant certaines activités professionnelles.

Elles ne doivent pas être confondues ni avec les confréries (des associations volontaires) ni les sociétés (comme aujourd’hui, des associations “intéressées”).

Ces communautés sont subdivisées en corps.
Le terme corporation vient les remplacer dès la révolution française.

Bien avant le règne de Louis XI, il y avait à Paris une profession de gens qui vendaient de la chair de porc cuite, et une autre qui débitait des sauces, qu’on pouvait emporter chez soi pour assaisonner les aliments.

Ces derniers portaient le nom de Sauciers; et comme en même temps ils fabriquaient de la moutarde et du vinaigre, ils joignaient au titre de Saucier celui de Vinaigrier-Moutardier.

Louis XII les érigea, en 1514, en corps de métier; et comme l’art de distiller prit faveur, les sauciers s’en saisirent et ajoutèrent à leurs titres ceux de Distillateur et Buffetier.

Toutes ces professions furent séparées dans la suite, et il en résulta quatre communautés : les Vinaigriers, les Limonadiers, les Distillateurs et les Cuisiniers.

Barny de Romanet, J.A.A. Histoire de Limoges et du haut et bas Limousin mise en Harmonie, p.152. 1821

Après avoir réunit en corps les vinaigriers, Louis XII (1462-1515) érige en septembre 1514 celui des distillateurs, conjointement avec celui des vinaigriers, et leur accorde le droit de faire de l’eau-de-vie et de l’esprit-de-vin

20 ans après, il est séparée et l’on distingue les distillateurs des vinaigriers.

Ces premiers distillateurs français font face à une rude concurrence avec les professions établies : les raisins étant réservés aux vignerons ou vinaigriers, et les céréales aux brasseurs ou boulangers, ils doivent se contenter de lies de vin ou de drèches de brassage.

Ces déchets industriels sont lourds et brûlent au fond de l’alambic chauffé à la flamme nue. Autant dire que les premières oeuvres des distillateurs français ont un goût de brûlé.

Sources :

– Scagliola, Robert. Les apothicaires de Paris et les distillateurs. Revue d’Histoire de la Pharmacie. 1943
– Duplais, P. Traité de la fabrication des liqueurs et de la distillation des alcools. Paris. 1876

À suivre chers bibules

lache un com'

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