les 100 dates de l’alcool, pt.7

Pssssss, n’oublie pas d’aller lire les six premières parties avant d’attaquer celle-ci ! Je te file le lien de la partie 6.

1615. vingt tasse d’arrack par jour

Empire Moghol (Nord de l’Inde)

Les empereurs moghols, bien qu’ils se soient efforcés de répandre la foi avec l’épée et la lance et l’aient glorifiée avec une architecture à couper le souffle (Taj Mahal) partagent dès leur arrivée au pouvoir un faiblesse non islamique : ils ne résistent pas a un petit verre d’arrack, et ne s’en cachent pas.

Une lignée d’alcooliques notoires, d’Akbar le grand (petit fils de Babur le conquérant) à son fils Jahangir, qui boit 20 tasses d’arrack par jour. 
L’arrack privilégié par Jahangir est l’arrack de sève de coco, une spécialité propre au port de Goa (sud-ouest de l’Inde). Au Bengale, ils ont un autre type à base de sucre, comme celui vendu dans les rues de Dehli vers 1280. 

Deux types très distincts si on en croit le révérend John Ovington

Ceux qui prétendent comprendre l’origine du mot Arak le déduisent de l’arabe, où ils disent qu’il signifie la sueur, et métaphoriquement l’essence, et en guise d’excellence l’Aqua Vitae.

Il existe deux sortes de liqueurs très connues en Inde, l’Arak de Goa et l’Arak du Bengale, en plus de celle qui est fabriquée à Batavia. 

L’Arak du Bengale est beaucoup plus fort que celui de Goa, bien que les Européens les utilisent tous les deux pour faire du punch … 

– Ovington, John. A voyage to Surat in the year 1689, p.142. Oxford, 1929

En 1608, Jahangir fait l’effort (religion oblige) de ne pas boire devant William Hawkins, un émissaire anglais de la Compagnie des Indes Orientale ; puis le fait bannir de sa cour pour avoir de l’alcool dans l’haleine1.
Hawkins est donc remplacé par Sir Thomas Roe, un gentleman.

En 1615, le nouvel émissaire rencontre le Shah Jahangir (qui a alors réduit sa consommation à 6 tasses par jour), mais le trouve quand même “très occupé avec ses tasses” et possédé par “des somnolences dues au vapeurs de Bacchus”.
Roe se fait offrir une tasse d’arrack, et éternue, surpris par sa force2.
Lorsqu’il informe ses maîtres marchands dans son premier rapport, il promet “avoir bu de l’eau pendant 11 mois, et rien d’autre”, ajoutant qu’il n’arrive pas à supporter le “rack” (arrack).

Quatre arracks entrent à ce moment dans le système de commerce mondial des spiritueux, qui est en train d’être mis en place : l’arrack de coco (Goa Arrack), celui de sucre (Bengal Arrack), celui de raisin (Raki) et celui de Batavia. 

Notes de bas de page :

  1. Hawkins s’en sort bien, les visiteurs saouls sont habituellement flagellés aux fouets barbelés
  2. Achaya, K.T. A Historical Dictionary of Indian Food, 1998

1621. la première référence au vino de mezcal

Mexique

Le mot agave n’arrive qu’en 1753, lorsque le taxonomiste Carl Linnaeus dérive le mot grec agauế, qui signifie noble.
Au Mexique, bien que l’espagnol soit désormais la langue officielle, il reste de nombreuses langues indigènes qui ont toutes un mot pour l’agave. 
Une de ces langues indigène est le nahuatl, et son mot pour agave est metl.

De nombreux groupes ethniques parlent nahuatl, et tous ont un seul mot pour leurs distillats d’agave : mexcalli, combinant metl (agave) et ixcalli (cuit).
Ce vino de mezcal, ou vin d’agave cuit, devient le nom officiel de ce breuvage.

La première référence littéraire au mezcal remonte à 1621, lorsqu’un Basque espagnol nommé Domingo Lazaro Arregui explique :

Les mezcals sont faits à partir du maguey, leur racine et tiges sont rôtis, et de ceux-ci, ils extraient un moût dont ils font du vin, plus clair que l’eau et plus fort en goût que l’aguardiente. 

Et bien que le mezcal qui soit fait ai de nombreuses vertus, ils l’utilisent avec tant d’excès qu’ils discréditent le vin et même la plante, comme cela se produit avec le tabac, qui, étant une réserve de tant de vertues bien connues, son utilisation a fini par le discréditer de telle sorte que parmi les personnes discrètes et courtoises, on considère qu’il est déshonorant d’en avoir dans la maison.

– Chevalier, François. Domingo Lazaro de Arregui : Descripcion de la Nueva Galicia. p.50. Sevilla. 1946.

Les espagnols rencontrent l’agave dans les Grandes Antilles (Cuba, Jamaïque et Hispaniola) avant leur arrivée en Mésoamérique, où elle est appelée maguey.
La maguey de la citation d’Arregui fait donc référence à l’agave.

Le mezcal est considéré comme une bebida bendita, ou boisson rituelle.
Du mezcal est aussi réalisé dans l’état mexicain de Jalisco, aux alentours de la ville de Tequila, il est appelé vino de mezcal de Tequila.

Ce mezcal de Tequila n’a pas encore pris son identité propre.

chaque tequila est un mezcal mais chaque mezcal n’est pas une tequila.

1627. les anglais s’installent à la barbade

île de la Barbade, Caraïbes

Les europééns se livrent une course à la colonisation des îles antillaises.
Les français arrivent sur l’île de Saint-Christophe en 1625, suivis de près par les anglais qui débarquent sur l’île de la Barbade le 17 février 1627.
Et c’est à la Barbade qu’est distillé pour la première fois (selon les documents) le résidu de la production du sucre : la mélasse.

Mais cela n’arrive pas dès 1627, le temps que la canne à sucre soit plantée, que le commerce sucrier soit mise en place, que les esclaves des plantations à qui on laisse les déchets que représentent la mélasse et les écrémages (écume) décident de les laisser fermenter en guarapo, que ce fermentat ne leur suffisent plus et qu’il essaient enfin de le distiller.

Ce n’est que dans les années 1640 que les migrants hollandais1. et des planteurs brésiliens enseignent aux barbadiens et aux martiniquais comment cultiver la canne et en tirer du sucre. C’est au cours de cette décennie que le rhum et la cachaça vont émerger.

En 1655, les britanniques capturent la Jamaïque aux espagnols et établissent immédiatement des plantations de sucre. 
La distillation va alors de pair avec la récolte du sucre à la Barbade, et un grand nombre de barbadiens ayant pris part à l’invasion et la capture de la Jamaïque y immigrent pour y établire de nouvelles plantations.

La distillation de rhum met beaucoup moins de temps à prendre en Jamaïque.
Et ce distillat de sucre a bon nombre de noms avant d’être qualifié rhum chez les francophones, rum chez les anglophones et ron chez les hispanophones ; et comme le dit le prétendu Giles Sylvester 2. dans sa lettre du 9 août 1651 :

La principale boisson qu’ils font sur l’île est le Rumbullion, ou Kill Divill [sic], et celui-ci est fait de cônes de sucre distillés. Une liqueur infernale et terrible.

– A Breife disciption of the Ilande of Barbados. Trinity College, Dublin, MSS. G. 4,15, No. 736. p.182

La Barbade est le berceau du rhum antillais. La plus ancienne distillerie de rhum encore en activité est d’ailleurs celle de Mount Gay, qui affiche fièrement sur ses bouteilles la date de 1703, son année de naissance.

Notes de bas de page :

  1. les Guerres de reconquête des Portugais au Brésil (1638-1654) opposent ces derniers aux néérlandais.
  2. la signature de cette lettre est effacée mais l’auteur y parle de ses frères Constant et Nathaniel. La famille Sylvester, planteurs installées à la Barbade, comprend effectivement la fratrie Giles, Constant et Nathaniel. Le soucis est la date du 9 août 1651 inscrite en fin de lettre : Giles est né en 1656, Constant en 1657 et Nathaniel Jr en 1661 selon l’arbre généalogique du Sylvester Manor.

1631. interdiction de l’aguardiente de cana

Nueva España (Mexique)

La première interdiction (sous peine de flagellation) d’eau-de-vie de canne à sucre en Nueva Espana (Mexique) est l’ordonnance du 7 mai 1631, émise par le vice-roi Marques de Cerravelo, Rodrigo Pacheco

Ces boissons sont fabriquées depuis de nombreuses années et on a fait l’expérience des dommages qu’elles causaient.

En 1615 déjà, les concessions pour la création de moulins à sucre stipulent que “la canne semée ne doit pas être utilisée dans une quelconque boisson de guarapo”

L’ordonnance de 1631 ajoute l’interdiction de fabriquer des boissons avec des alambics, expliquant qu’il y a beaucoup de tavernes et que d’autres boissons sont mélangées avec le vin de Castille1.

Les mêmes ordonnances et sanctions ont été répétées en 1635, interdisant la distillation du jus de canne ET de maguey (agave) en raison des dommages qu’elle causeraient aux locaux (Los Indios). 

l’influence hollandaises sur le brandy

Nantes, France

Les Provinces-Unies (Pays-Bas), toutes puissantes et férues de Brandy, participent activement à développer la distillation de vin en France. 
Le mot “brandy” vient de “brandewijn”, qui signifie “vin brûlé” en néerlandais.

En 1631, les Hollandais importent 245 alambics à Nantes, venus de neuf ports les Provinces-Unies, preuve de la participation des Hollandais à ce secteur2..

Les Néerlandais produisaient déjà de l’eau-de-vie à Nantes pour l’exporter vers la Hollande dès 16093..
L’eau-de-vie de Bordeaux est vendue aux hollandais tout au long du siècle, mais de 1633 à 1654, celle de Cognac disparait des listes pour être remplacée par celles de Nantes.
Après cette pause, l’eau-de-vie de Cognac est en concurrence avec celle de Nantes et de Bordeaux, dans la même fourchette de prix.

Notes de bas de page :

  1. Armendares, Teresa Lozano. Las autoridades virreinales ante el consumo de alcohol. chapitre 2. 2005
  2. Mandelblatt, Bertie. L’alambic dans l’Atlantique. Histoire, économie & société. p.63-78. 2011
  3. De Bruyn Kops, Henriette. A Spirited Exchange: The Wine and Brandy Trade Between France and the Dutch Republic in Its Atlantic Framework, 1600-1650. p. 220. Leiden, Brill. 2007.

1639. un spiritueux à l’épreuve (proof spirit)

Londres, Angleterre

Un spiritueux trop dilué prend trop de place dans une cale de navire.
Pour éviter la surcharge et s’assurer que la poudre à canon s’enflamme toujours en cas de contact avec les eaux-de-vie, une norme de puissance alcoolique est introduite dans le monde des spiritueux, celle de proof (preuve, épreuve).

Que tous les vins, lies de vin, vins doux et spiritueux à l’épreuve, quels qu’ils soient (destinés à la fabrication d’alcools riches ou forts, d’eaux fortes ou d’aquavitae, etc.) soient d’abord distillés, extraits ou tirés dans de l’alcool fort à l’épreuve (afin qu’ils soient corrigés et guéris de leurs qualités naturelles)

– Company of Distillers of London. The Distiller of London. p.14. 1639

Avant l’invention d’outil permettant de calculer avec précision la puissance des eaux-de-vie, des tests empiriques sont réalisés1..
Un spiritueux est considéré comme étant à l’épreuve s’il contient 50% d’alcool.

Les premiers outils, comme le densimètre de Bartholomew Sikes, mesurent l’alcool en poids et non en volume comme c’est le cas aujourd’hui.
L’alcool étant plus léger que l’eau, un spiritueux de la Navy affichant 100 Proof titrent aux alentours de 57,2% alc.vol, et non 50% alc.vol. Simple non ?

le premier rhum français

Saint-Christophe, Antilles françaises

Au début de l’année 1635, impulsée par le cardinal de Richelieu, est créée la Compagnie des îles de l’Amérique. En août 1639, elle accorde à Jean Faguet 2. :

Deux mois plus tard, le privilège exclusif de fabriquer de l’eau-de-vie dans les îles de la Martinique et de Saint-Christophe est accordé à un certain M. Faguet.

Il est possible et même presque certain qu’il s’agit là de la fabrication d’eau-de-vie de canne à sucre.

– Lea Mims, Stewart. Colbert’s west india policy. p.35. 1912

Notes de bas de page :

  1. comme chauffer du rhum (mélangé à de la poudre à canon) en concentrant la chaleur des rayons du soleil à travers une loupe, si le mélange s’enflamme : il est à la proof.
  2. Roulet, Éric. La compagnie des iles d’Amérique 1635-1651. 2017.

1641. une taxe sur le vin péruvien

Vice-Royauté du Pérou

La paternité du Pisco est toujours disputée entre le Pérou et le Chili.  Le Pérou cherche même à interdite au Chili d’appeler son spiritueux national “Pisco” (est-ce que l’Irlande cherche à empêcher l’Écosse d’appeler le sien “whisky” ?).
La première mention dans la région d’un alambic dédié à la distillation de vin vient pourtant de Santiago, dans l’actuel Chili. Mais à l’époque ou celui-ci est enregistré, Santiago appartient à la Vice-Royauté du Pérou1..

Les descriptions attachées aux testaments des viticulteurs Maria de Niza de Santiago (1586) et Pedro Manuel de la vallée d’Ica (1613) montrent déjà quelques différences entre l’agaridente de grapa du sud de désert d’Atacama et celle du nord.
Le testament de 1586 spécifie “un alambique de sacar aguardiente”, un pièce précieuse avec tête plate et condenseur, réalisée en ferronnerie fine, tandis qu’au nord d’Atacama, le testament de 1613 décrit son alambic comme une simple “caldeira grande con su tapa e canon” (une grande bouilloire avec son couvercle et son tube). 

Rien d’étonnant : les Espagnols ont trouvé de vastes gisements de cuivre au sud, près de Coquimbo, et la région est connue pour ses chaudronniers ; dans le nord, cependant, les distillateurs utilisent le moins possible de cuivre chilien coûteux. L’alambic rustique de Pedro Manuel n’est pas seulement le premier enregistré sur l’actuel territoire péruvien ; c’est aussi la première mention de la Falca, le type (toujours) caractéristique du pays.

Pour faire une Falca péruvienne, une unique feuille de cuivre est martelée dans une simple bouilloire à large ouverture (la paila), celle-ci est ensuite enveloppé de briques et recouverte de stuc, avec une chambre de combustion en dessous.
La fabrication de brandy est donc un pan standard de la viticulture dans certaines régions de la Vice-Royauté à partir de la fin des années 1500.
Mais cette pratique complémentaire à la production de vin va s’accélérer au milieu du 17ème siècle.

En 1641, l’Espagne n’est plus autorisée à importer du vin de la Vice-Royauté afin de protéger les vins et les raisins espagnols de la concurrence. Pour enfoncer le clou, le roi d’Espagne, Philippe IV, impose de lourdes taxes sur tous les vins produits au Pérou. 
En réponse, ses sujets du nouveau monde esquivent cette taxe onéreuse en distillant toute leur vendanges de l’année. 

L’aguardiente de raisin est largement produite, et pour l’usage local et pour l’exportation illicite vers d’autres parties de l’Amérique espagnole.

Notes de bas de page :

  1. Le Chili appartient à la Vice-Royauté du Pérou de sa fondation, en 1542, jusqu’en 1818.

1646. un alambic chauffé à la vapeur

Allemagne

En Amérique, contrairement à l’Europe, le prix du cuivre est très élevé et celui des spiritueux très bas. Faire un alambic en cuivre ne serait pas très rentable.

Le cuivre est pourtant le matériaux de prédilection, car il est facile à travailler, assez conducteur pour chauffer et manière homogène, et il absorbe le souffre.
Les distillateurs américains commencent donc à expérimenter avec des alambics en bois, seuls leur chambres sont en cuivre (toujours pour le souffre) dans lesquelles de la vapeur est injectée, un flamme vive n’étant pas compatible avec ces nouveaux matériaux.

En 1646, le chimiste germano-néerlandais Johann Rudolph Glauber (1604-1670) est le premier à fournir un schéma d’alambic en bois à injection de vapeur dans la troisième partie de son traité sur les nouveaux fours philosophiques (Furni novi philosophici).

Une innovation peut-être peu utilisée à ses débuts, mais assez innovante pour être retranscrite dans l’influent Art of Distillation1. de John French en 1651.

Son principe était simple : un vase de cuivre rempli d’eau était chauffé dans une fournaise ; la vapeur qui en résultait était acheminée par un tuyau au fond d’un baril en bois contenant le moût ; la vapeur qui s’élevait du moût sortait par le haut du baril par un autre tuyau et passait par un condenseur.

– The Oxford Companion to Spirit and Cocktail

Cette invention révolutionnaire est restée en sommeil pendant plus d’un siècle. 
Ce n’est qu’à la fin des années 1700 qu’il y a une recrudescence de l’intérêt pour la distillation à la vapeur, avec un certain S. Thomas Wood qui reçoit un brevet britannique pour la distillation à la vapeur en 1785.

L’américain Alexander Anderson brevete une amélioration en 1794 et le compte Rumford suggère la distillation avec injection de vapeur en 1802.
En 1811, l’américain John Giraud brevete un alambic à vapeur perpétuelle.

En 1812, le Rye Whiskey distillé à la vapeur est vendu à Baltimore.
Cette course aux brevets permet une nette évolution dans l’art de la distillation, et permet doucement d’introduire l’alambic à colonne.

Notes de bas de page :

  1. Gauber, John Rudolf. A Description of New Philosophical Furnaces. Translated by John French. 1651

à suivre …

santé chers bibules

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