les 100 dates de l’alcool, pt.6

Sept nouvelles dates sur la fabuleuse histoire des spiritueux, de 1587 à 1607.
Si vous n’avez pas encore découvert les 35 premières dates, commencez-donc par aller lire la partie 5.
Bonne lecture chers bibules.

1587. l’alcool pendant la guerre de 80 ans

Toute l’Europe.

Dans les années 1560, Philippe II d’Espagne cherche à entraver la politique de la couronne d’Angleterre.
Les corsaires anglais sont considérés comme des pirates par les Espagnols, et leurs activités ponctionnent le Trésor d’Espagne.
De plus, Élisabeth Ire soutient les protestants, en guerre contre Phillip II

En septembre 1568, un transport d’esclaves conduit par Sir Francis Drake est surpris par les Espagnols près du Mexique et ses navires sont coulés.
L’année suivante, en réponse, les anglais capturent plusieurs navires espagnols chargés de fournir l’armée espagnole aux Pays-Bas.
La guerre est déclarée.

En 1585, Élisabeth Ire signe un traité avec la République des Provinces-Unies (Pays-Bas) et déploie plusieurs milliers d’hommes pour soutenir les rebelles néerlandais dans leur reprise de la citadelle d’Anvers.

Des soldats anglais rejoignent le camp des protestants conduit par Guillaume I d’Orange-Nassau dans leur révolte contre l’Espagne, et découvrent, dans ce ce contexte tumultueux, une boisson aromatisée à la baie de genevrier bu par les rebels. Elle est rapidement surnomé Dutch Courage, “Courage Hollandais”.

Il n’en faut pas plus que les britanniques s’éprennent de ce genièvre et, de retour chez eux, commencent à produire leur propre version, le gin.

En 1585, les ressentiments sont si forts partout en Europe que les marchands anglais commerçant en Espagne sont arrêtés et leurs marchandises vendues.
Le nom de Francis Drake devient synonyme d’horreur dans toute la province de Cadix (Espagne). Quand un mère veut effrayer son enfant elle lui dit “ El Draque t’aura si tu n’est pas sage”.

Son fait d’arme le plus célèbre dans la région a lieu en 1587.
Il met le feu à la barbe du roi d’Espagne, brûle sa flotte alors qu’elle mouille dans la baie et s’enfuit avec 2’900 pipes (de 500 litres) de vin destinés à l’Armada (le chiffre vient de sources espagnols : il est donc peut-être exagéré).

Quoi qu’il en soit, ce butin est apprécié en Angleterre, car les importation de vin espagnol, très apprécié des anglais, est réduit depuis le début des hostilités.
Ce raid couplé d’un vol dans la baie de Cadix contribue à introduire le sherry à grande échelle chez les britanniques.

De vieux livres espagnols1. relatent même des légende sur le rapport de Drake au Sherry. Comme quoi il a été expéditeur de Sherry à Jerez avant de se quereller avec un marchand local, promettant de revenir en Espagne se venger.

Notes de bas de page :

  1. Connell-Smith, Gordon. Forerunners of Drake. London. 1954
  2. Jeffs, Julian. Sherry. Infinite Ideas Limited. 2019

1590. arrack de sucre brut, ancêtre du rhum

Empire Moghol (Nord de l’Inde)

Les détails de la façon dont l’eau-de-vie de sucre indienne est produite sont enregistrés dans l’Ain-i-Akbari, l’enquête administrative méticuleuse de l’Empire Moghol achevée en 1590 par le grand vizir Abul Falz Allami (1551-1602)1. :

La canne à sucre est également utilisée pour la préparation de liqueurs enivrantes, mais le sucre brut est meilleur à cette fin. 

Il existe plusieurs types de préparation. L’une des méthodes est la suivante :

Ils pilent la gomme arabique, en la mélangeant à raison de dix sérs2 pour un “man” de sucre, et y ajoutent trois fois plus d’eau.

Ils prennent ensuite de grandes jarres, les remplissent du mélange et les enfoncent dans le sol, en les entourant de crottin de cheval sec. 

Sept à dix jours sont nécessaires pour produire la fermentation.

C’est un signe de perfection lorsque la liqueur a un goût doux mais astringent.

Lorsque la liqueur est forte, on ajoute au mélange du sucre brut, et parfois même des drogues et des parfums, comme de l’ambre gris, du camphre, etc.

Ils y laissent aussi se dissoudre de la viande. 

Cette boisson, une fois filtrée, peut être utilisée, mais elle est surtout employée pour la préparation de l’arrack. Ils ont plusieurs méthodes pour la distiller.

Tout d’abord, on met cette liqueur dans des récipients en laiton, à l’intérieur desquels on place une coupe, afin qu’elle ne tremble pas et que le liquide ne s’écoule pas à l’intérieur.

Les récipients sont ensuite recouverts de couvercles retournés qui sont fixés avec de l’argile. Après avoir versé de l’eau froide sur les couvercles, on allume le feu, en changeant l’eau aussi souvent qu’elle se réchauffe.

Lorsque la vapeur à l’intérieur atteint le couvercle froid, elle se condense et tombe sous forme d’arrack dans la coupe.

[…]

Certains distillent l’arrack deux fois, il est alors appelé “Ductashah”, ou “deux fois brûlé”. Il est très fort. Si l’on s’en mouille les mains et qu’on les tient près du feu, l’alcool brûle en flammes de différentes couleurs, sans blesser les mains.

Il est remarquable que lorsqu’on met le feu à un récipient contenant de l’arrack, on ne peut l’éteindre par aucun moyen ; mais si l’on couvre le récipient, le feu s’éteint immédiatement.

– Allami, Abul Falz. The Ain-I-Akbari. Volume I. p.69-70. Calcutta. 1873

Notes de bas de page :

  1. Allami, Abul Falz. The Ain-I-Akbari. Volume I. p.69-70. Calcutta. 1873
  2. 10 sérs = 250 grammes

1594. elle résiste aux longs trajets en bateau

Angleterre

Les navires anglais sont approvisionnés en bières pour tous et en vin pour les gentlmen, les officiers et les passagers importants.
Au cours des longs voyages qu’ils commencent à entreprendre sous le reignes d’Elisabeth, cela s’avère insatisfaisant.

D’une part, la bière et le vin prennent beaucoup de place, surtout quand ces messieurs boivent chacun, en moyenne, trois bouteilles par jour.

Lorsque la première mission de la Compagnie des Indes Orientales prend la mer en 1601, ses quatre navires et ses 480 hommes partent avec 420 tonnes de bières, cidre et vin (pour une capicité totale de 1160 tonnes)1..
Mais la place n’est pas le seul problème.
En 1588, lorsque que l’Angleterre prépare un assaut contre l’armada espagnole, une épidémie balaye sa flotte.

Le Lord Amiral Charles Howard l’attribue à la bière qui a tournée au vinaigre.
Avant l’invention de la pasteurisation, il est difficile d’empêcher une boisson fermentée de tourner lorsqu’elle est ballottés en cale, même en zone tempérées. 

Même William Shakespeare le sait : dans La Comédie des Erreurs, écrite entre 1592 et 1594, il énumère les fournitures achetées pour un voyage en mer :

Je l’ai transporté à bord, et j’ai acheté
L’huile, le baume et l’aqua vitae.

Le navire est dans son assiette ; le vent joyeux

Souffle joyeusement de la terre.
Ils ne sont là que pour rien

Mais pour leur propriétaire, leur maître, et pour vous.

– Shakespeare, William. The Comedy Of Errors. Acte IV, scène I. 1594

Shakespeare sait que l’aqua vitae, elle, résiste aux longs courriers.
Les navigateurs découvrent ses vertues par la pratique : le capitaine Edward Fenton, chargé en 1582 de contourner le cap de Bonne-Espérance tient dans son journal de bord un décompte mensuel de ses provisions.

Les premiers mois ses hommes ont droit à un verre quotidien d’aqua vitae.
Puis, plus une goutte pendant 5 mois.
L’aqua vitae n’est re-servie qu’une fois la bière et le vin gâtés en quittant les Canaries.
Cela suggère que Fenton décide d’en faire une réserve sur laquelle compter car elle ne bougera pas2..

Notes de bas de page :

  1. Wondrich, David. Punch : The Delights and Dangers of the flowing bowl. 2011
  2. Taylor, R. The troublesome voyage of Captain Edward Fenton, 1582-1583. Cambridge. 1959.

1602. les compagnies des indes orientales

Batavia (Jakarta), Java, Indonésie

Les marins et les États européens fondent des comagnies commerciales depuis le 16ème siècle (la Moscovy Company remonte à 1555). Mais c’est au 17ème siècle  que leur avènement devient spectaculaire.

Alors que l’Espagne et le Portugal se réservent l’exploitation de l’Amérique, les autres puissances européennes s’engagent dans une compétition acharnée pour constituer des empires coloniaux et alimenter leur économie et leur puissance.

L’Angleterre fonde la East India Company en 1600, suivie par les Provinces Unies et lur célèbre VOC (Vereenigde Oost-Indische Compagnie) en 16021..
Leur État leur confère un monopole commerciale entre métropole et colonies.
Et si il y a bien une colonie de convoitée, ce sont les Moluques : un archipel situé à l’Est de l’Indonésie connu pour ses épices telles que la noix de muscade2..

Les hollandais commercent avec l’Indonésie dès 1603, y délogent les portugais  et les anglais fondent une colonie permanente dès 1619.
Ils fondent leur siège sur la plus grande île de l’archipel, Java, et le nomment Batavia, l’ancien nom romain des Pays-Bas.

Malgré le harcèlement et l’ingérence des Hollandais, quelques marchands anglais arrivent tout de même à y établir une petite “usine” (un poste de traite).
Batavia est l’épicentre de cette période d’aventure et d’ouverture sur le monde.
En 1710, à son arrivée en ville, le capitaine corsaire Woodes Rogers écrit :

Certains marins s’étreignaient, 

d’autres se félicitaient d’être arrivés

à un endroit si glorieux pour le punch

– Jones, Donald. Captain Woodes Roger’s Voyage Round The World 1708-1711.

La VOC est la première multinationale au monde ; avec sa propre armée et sa propre monnaie. Elle va rapidement étendre son commerce d’épices à celui de tout ce que l’autre bout du monde a de bon à offrir.

L’une des premières choses qu’elle fait est de financer une industrie sucrière dirigée par l’importante communeauté chinoise présente sur place. 
Les “facteurs” (marchands) des Indes Orientales découvrent aussi un alcool local, qui malgré la forte communauté musulmane présente sur l’île, à les faveurs des locaux : l’arrack de Batavia.

Notes de bas de page :

  1. les danois fondent aussi leur Compagnie des Indes en 1616, et les français en 1664.
  2. la muscade se revend 60’000 fois son prix sur le contient, on lui doit l’expression “payer en espèce” 

1604. la “boisson chaude” du voisin chinois

Banten, Java, Indonésie

En 1602, huit des premiers expatriés britanniques sont déposés à Banten lors du premier voyage de la Compagnie des Indes orientales.
On leur a dit de gagner de l’argent et on leur promet que quelqu’un revient bientôt les chercher. 
Au moment du deuxième voyage, seuls deux ont survécu. 

Edmund Scott est l’un des deux survivants, mais a passé une “saison en enfer”.

Il se défie de tout et de tous, devient de plus en plus paranoïaque, et va jusqu’à torturer des locaux qu’il soupçonne d’avoir voulu dérober son stock1..
Au cours de ses trois années à Banten, Edmund Scott s’intéresse à l’endroit. 
Ses voisins sino-javanais, desquels il se méfie partiulièrement, tiennent ce qu’il appelle une arack-house.

un Chinois d’origine, devenu Iauan2., qui était notre voisin immédiat, tenait une maison de ravitaillement et brassait de l’arack, sorte de boisson chaude que l’on boit dans la plupart de ces régions du monde, à la place du vin.

– Scott, Edmund. An Exact Discourse of the Subtilties, Fashions, Pollicies,
Religion, and Ceremonies of the East Indians. London. 1606.

Lors de leur premières expéditions en Indonésie, les colons découvrent sur Java une importante communauté chinoise, “un peuple très subtil et industrieux” comme le précise le rapport du premier voyage néerlandais. 

Cette communauté vient de la province chinoise du Fjiuan, une bande étroite et peuplée le long de la côte-Est, enclavée entre mer et montagnes. 
Ses habitants ont l’habitude de monter sur des bateaux et d’aller quelque part (Philippines, Palawan, Java, etc) où ils peuvent s’installer et faire de l’argent. 

Les chinois distillent depuis un millénaire et les Fujianais expatriés font voguer ce savoir jusqu’à Java. Là-bas, ils préparent “ beaucoup d’aqua vitae de riz et de Cocus (sève de cocotier) ”.
Le mélange des matières premières dans le distillat est une technique bien connue dans la distillation chinoise.

Après l’arrivée des néerlandais et l’implantation de la canne à sucre, ces distillateurs chinois ajoutent de la mélasse, le résidu industriel du travail de la canne à sucre, à leur spiritueux hybride mêlant déjà sève et riz, et obtiennent l’arrack de Batavia : un alcool javanais, réalisé selon une technique chinoise, commercialisé par les hollandais sans équivalent en Europe.

Notes de bas de page :

  1. Scott découvre sous son rez-de-chaussée un petit tunnel et part interroger, par la toture, ses voisins. 
  2. C’est à dire un javanais convertit à l’islam. Fait pour lequel il sera protégé par les autorités.

1606. un vrai calvados, qui n’en a pas le nom

Rouen, Normandie, France

La distillation d’eau-de-vie de cidre normande n’est pas reconnue entre ses débuts et le 17ème siècle.
Ses distillateurs constituent une corporation sous le règne de Henri IV (1589-1610).

Les statuts du métier de vinaigrier et faiseur d’eau-de-vie de la ville de Rouen sont enregistrés au Parlement de Normandie le 6 novembre 1606. 

Nul ne pourra faire vinaigre, aigre, moutarde et eau-de-vie pour vendre, s’il n’est maitre dudit métier, sinon les bourgeois qui en pourront faire pour leur usage seulement, sans en pouvoir vendre. 

– Duval, Louis. Essai Historique sur le Cidre et le Poiré. Orne. 1896.

Les distillateurs de Caen adoptent les mêmes statuts que les faiseurs d’eau-de-vie de Rouen et obtinrent du roi Louis XIII des lettres patentes, en juillet 1636.
La corporation des distillateurs d’Alençon, enfin, est créée en 1637. 
Le terme Calvados n’existe toujours pas, que ce soit pour désigner l’eau-de-vie comme le département, créé après la révolution française.

Les origines étymologiques de “Calvados” sont d’ailleurs sujetes à hypothèses1. :
la plus connue est celle d’un navire espagnol, le San Salvador, qui se serait brisé sur ses côtes, son nom se serait métamorphosé en Calvador, puis Calvados.

Mais l’ancienne carte du diocèse de Bayeux, datée de 1675 et attribuée à l’Abbé Petite, indique le mot “calvados” à deux reprises, sur deux pointes rocheuses au large des côtes et espacées de quelques kilomètres.

Le noms de ces rochers est peut-être tiré du latin calvus (chauve, nu) et dorsum (le dos, la crête) ; et il est vrai qu’ils ressemblent à des crânes chauves. 

Les marins se repèrent peut-être avec ces calvadô, qui donneront à leur région son nom 115 ans plus tard, en 17902..

Au milieu du 19ème siècle, ce nom commence à glisser vers l’eau-de-vie, d’abord dans le langage courant, puis officiellement en 1942 avec son AOC.

Notes de bas de page :

  1. Lepelley, René. Calvados, qui-es tu ? d’où viens-tu ? Ou le nom énigmatique d’un département. 1995.
  2. Mattsson, Henrik. Calvados, The world’s premier apple brandy, tasting, facts and travel. 2004

1607. les anglais s’installe à jamestown

Jamestown, Virginie, États-Unis

Le 14 mai 1607, une poignée d’Anglais débarquent sur la côte nord-américaine et fonde un établissement permanent sur une terre que de précédents explorateurs ont baptisé Virginie en l’honneur de la reine d’Angleterre Elizabeth Ire.

Les colons commencent à planter des colonies en Virginie et dans la Carolines, et y trouvent des pêchers poussant à l’état sauvage, en grande quantité1..
Le fruit est suffisament abondant pour nourrir les porcs et faire du “mobbie”, une sorte de cidre de pêches fermentées.

L’alcool est une des nécessités de la vie quotidienne. L’Anglais du 17ème siècle ne boit pas d’eau ; cela reviendrait à jouer à la roulette russe (les histoires de l’époque abondent d’individus qui boivent de l’eau froide, et meurent).

Le soucis du mobbie, c’est que comme toute boisson fermentée, il est instable :

faute de force… les cidres sont susceptibles de se décomposer et de se teindre

– Richard Haines, 1684

Cela est particulièrement vrai dans le Sud chaud. Pire encore, dans un pays avec peu de routes et de nombreuses colonies isolées, leur transport est difficile et coûteux.
Mais s’il est transformé en “eau forte”, il occupe moins d’espace et se conserve indéfiniment. 

À partir de 1640, il est donc distillé. En 1645, la Virginie réglemente les prix du brandy local, fixant sa valeur à la moitié de celle des eaux fortes anglaises.

Cette appréciation change vite, au cours du demi-siècle suivant, les distillateurs coloniaux acquièrent des compétences et de l’expérience.
Puis, certains distillateurs laissaient vieillir leur brandy considérablement.
On commence à entendre parler de bonne vieille eau-de-vie de pêche2..

Son autre nom : whisky de pêche, donne une idée de son profil aromatique : sec, boisé, avec seulement un peu de la douceur et du fruit sous-jacents.
Le problème est qu’un bon peach brandy coûte cher à fabriquer. 
Les pêches sont bon marché si vous les cultiviez, mais elles ne voyagent pas et ne se conservent pas.
Il faut les distiller sur place, lorsque le fruit est mûr. 

Les céréales, en revanche, se conservent toute l’année et peuvent être transportées là où la main-d’œuvre est moins chère et la plus qualifiée3.
Un spiritueux luxueux et délicieux, mais pas très rentable.

Notes de bas de page :

  1. des pêchers descendants de ceux plantés par les Espagnols lors de leurs explorations du continent.
  2. du général Francis “The Swamp Fox” Marion et de ses hommes libérés après un raid conservateur. 
  3. Wondrich, David. Is Peach Brandy the Next Hot Spirit ? The Daily Beast. 2017

À suivre …

Santé chers Bibules

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